Être agile pour construire des stratégies PI (Propriété Intellectuelle) et valoriser ses actifs immatériels à l’international – Paroles d’experts
Publié le lundi 14 octobre 2024Propriété Intellectuelle à l’international
Pour aller plus loin, l’IEEPI et Soazig Thémoin vous proposent la formation :
- Réussir sa stratégie PI à l’international – 7 et 8 novembre
Paroles d’experts : Soazig Thémoin.
L’IEEPI donne la parole à ses experts, aujourd’hui Soazig THEMOIN (Conseil en Propriété Industrielle & Mandataire Européen en Marques et Modèles au sein du Groupe VIDON Intellectual Property) nous proposent une analyse sur…
Être agile pour construire des stratégies PI (Propriété Intellectuelle)
et valoriser ses actifs immatériels à l’international
Pourquoi est-il si important d’adapter ses stratégies pour valoriser sa propriété intellectuelle à l’export ?
Les porteurs de projet(s) à l’export le savent : la pénétration d’un nouveau marché nécessite à la fois une forte agilité et une approche construite.
Du point de vue des actifs immatériels (brevets, designs (dessins et modèles ou droit d’auteur), savoir-faire, marques…) plusieurs objectifs peuvent motiver une prise de droit à l’international. D’expérience, nous identifions différentes motivations des titulaires de droits de PI :
- La motivation la plus immédiate est bien entendu celle de la conquête d’un nouveau marché, de l’ouverture d’un nouveau territoire dans la stratégie commerciale d’un titulaire ;
- Une autre motivation récurrente est l’entrée du titulaire de droits de PI sur un territoire étranger, que cette entrée prenne la forme de l’implantation d’une filiale, de la signature d’un partenariat, de l’immatriculation d’une JV (Joint-Venture) ou encore l’identification d’un sous-traitant clef,
- D’autres motivations sont également à prendre en considération : les territoires d’implantation d’un concurrent majeur, les territoires prospectifs (en termes commercial notamment), les marchés fermés à date du dépôt (contraintes normatives, restrictions commerciales, législation locale, embargo…) et pour autant à fort potentiels…
Pourquoi est-il si important d’anticiper lorsqu’un projet se destine à l’export ?
L’anticipation est nécessaire à tout le moins lorsque sont concernés des droits de PI soumis à la contrainte de la nouveauté.
C’est le cas du Brevet, et aussi des Dessins & Modèles.
Si la contrainte de nouveauté absolue en matière de brevet est généralement bien maîtrisée par les titulaires, il en va différemment de la nouveauté attachée à la protection par Dessin ou par Modèle (pour résumer : un dessin ou modèle protège l’apparence d’un « produit » (3D) ou d’un logo, ou d’une partie de « produit », que ce « produit » soit réel ou soit virtuel).
En effet, les titulaires européens organisent trop souvent leur stratégie de protection sous le prisme de la pratique européenne, et cette pratique autorise un titulaire à divulguer son Design sans que cette divulgation préalable au dépôt n’entache la validité de son enregistrement[1].
Or, certaines autres juridictions considèrent que la nouveauté en matière de dessins et modèle doit être absolue et que toute divulgation antérieure au dépôt détruira la protection revendiquée (par exemple la Chine Continentale). Sur d’autres territoire, la notion de « période de grâce » sera appréciée différemment : délai plus court, conditions davantage strictes… La prudence s’impose donc avant toute divulgation lorsqu’une protection à l’étranger doit être recherchée.
L’exigence de nouveauté n’est d’ailleurs pas le seul critère qui impose l’anticipation, dans la mesure où en matière de marques la contrainte de disponibilité du signe impose souvent l’anticipation, plus particulièrement sur certains territoires où les comportements nationaux révèlent des titulaires prompts à utiliser le dépôt d’une marque comme un levier d’opportunité ou de blocage d’un marché (§4. ci-dessous).
L’intervention du CPI : en mode conseil ou en « mode pompier » ?
Clairement si l’anticipation est toujours préconisée, un conseil sait devoir être prêt à intervenir en « mode pompier » sur des territoires multiples et parfois exotiques !
La réactivité est au cœur de nos métiers : nos clients exposent leurs innovations les plus récentes dans des concours ou sur des foires internationales (innovations parfois non parfaitement matures), les douanes nous sollicitent en urgence (un container ne sera évidemment pas bloqué longuement sur un quai, même si la marchandise qu’il contient est très fortement suspectée de porter atteinte aux droits de l’un de nos clients), une saisie-contrefaçon en cours chez l’un de nos clients oblige à une disponibilité immédiate…
Les cas sont multiples pour un conseil en PI de se trouver exposé à intervenir en « mode pompier », et cela participe du goût que qu’un conseil développe pour ce passionnant métier. Reste que lorsque l’anticipation est possible, elle se révèle plus performante pour nos clients, tant en termes stratégiques qu’en termes de budget à consacrer à la conquête d’un territoire.
Disposer d’une vision des approches multiculturelles des risques et des opportunités d’un marché, çà veut dire quoi ?
Les législations comme les comportements sont fortement influencés par une pratique locale souvent très spécifique.
Qu’il s’agisse de pratiques locales développés par les titulaires nationaux, comme c’est le cas des déposants chinois qui, par tactique, associent régulièrement un dépôt de Modèle d’Utilité à un dépôt de Brevet, ou du domaine d’activité du client : certains domaines sont en effet plus exposés. C’est le cas notamment des marques cosmétiques françaises (et pas uniquement les marques notoires). Pour résumer, le contexte doit être concrètement bien maîtrisé pour fixer les priorités, éviter les pièges locaux connus, dans le respect du budget que le client met à disposition d’un territoire (fonction notamment du retour sur investissement escompté, de la capacité de nuisance de la position du territoire…).
Certes les législations en matière de propriété intellectuelle sont parmi celles les plus harmonisées à l’international, et pour autant, les modalités d’application des législations comme les interprétations demeurent sous forte influence nationale : les examinateurs des offices locaux, comme les juridictions interprètent les textes imprégnés de leur vision nationale.
Prenons pour exemple la protection d’une marque 3D en Chine continentale.
L’article 8 de la loi chinoise sur les marques (suivant le quatrième amendement de la loi sur les marques du 23 avril 2019) précise clairement que peut être enregistré « tout signe susceptible de distinguer les produits et services (…) en ceci inclus (…) les signes tridimensionnels (ou marque 3D – 立体商标 ) »[2].
Si la lecture du texte ne laisse aucun doute quant à la capacité d’enregistrer localement un signe 3D, il s’agit d’une position de principe. En pratique l’expérience montre que l’Office chinois (CNIPA) se révèle d’une exigence telle dans l’application des critères d’appréciation du caractère distinctif d’un signe 3D qu’obtenir un tel enregistrement se révèle pouvoir être une réelle aventure !
Illustrons ce propos avec l’expérience de la Maison PARFUMS CHRISTIAN DIOR qui dès 2014 déposait en Chine continentale (année de promulgation de la nouvelle loi citée ci-dessus) le célèbre flacon de parfum sous la forme reproduite ci-dessous (sans étiquette) :
pour revendiquer une protection sur les « parfums » et d’autres produits cosmétiques relevant de la classe 3. Débute alors l’examen préalable à l’enregistrement, et l’émission d’une série de refus.
Le 26 avril 2018, c’est la Cour suprême de Chine continentale (2018 ZUIGAOFAXINGZAI N°26) qui fixera les critères pour parvenir à l’enregistrement :
- Tout d’abord, la Cour affirme que l’office doit considérer la marque comme Tridimensionnelle, ceci même en l’absence de production de trois vues[3] ;
- La Cour précise également que le caractère distinctif devra être examiné de manière intrinsèque et également en lien avec l’usage réalisé par le titulaire.
- Et, que pour l’examen l’Office devra prendre en considérations les capacités cognitives du consommateur, comme les caractéristiques uniques de la marque.
Au final, l’office (TRAB, devenu CNIPA) considèrera que cette demande de marque 3D a acquis un caractère distinctif suffisant pour approuver son enregistrement pour le seul produit « parfums » en Chine continentale[4].
Il aura ainsi fallu organiser une défense, l’adapter aux critères d’interprétation de l’administration pendant 5 années pour que ce célèbre flacon de parfum apparaisse désormais sur les registres de marques chinoises sous le statut de Marque Enregistrée (注册商标 ), statut très attendu pour organiser la défense d’un signe.
Nous aurions également pu parler du respect des mœurs ou us et coutumes, notion qui par nature varie culturellement, et influence l’appréciation du caractère légal d’un signe par un examinateur local.
Prenons un cas qui compare la perception de la Moralité (Bonnes Mœurs) par le Royaume de Thaïlande et par l’Union Européenne en présence du même signe déposé à titre de marque :
est une marque thaïlandaise rejetée ! Selon la décision du Trademark Board No. 843/2548 (application no. 545572) :
“The device of cartoon presenting a urinating boy is not polite and contrary to morality thereby not registrable under Section 8 (9) of the Trademark Act B.E. 2534.”
La version initiale de cette marque, qui modernise les codes qu’un consommateur français identifiera comme un poulbot est parfaitement acceptable sur le terrain des mœurs en Europe, et pour autant est refusée au motif qu’il contrarie les bonnes mœurs du Royaume de Thaïlande.
Enfin, les droits antérieurs présents sur le territoire ne pourront pas être négligés :
Si Mr. P représenté dans cette posture insolente n’a rencontré aucun obstacle sur le terrain de l’appréciation des mœurs européenne, la Ville de Bruxelles a quant à elle décidé de s’opposer à l’enregistrement de cette demande, au motif que Mr. P aurait porté atteinte au fameux Manneken-Pis, déposé à titre de marque au format suivant :
(EUTM 736881). L’EUIPO ne suivra pas la position de la Ville de Bruxelles et c’est ainsi que Mr. P sera enregistré à titre de marque dans l’UE.
Que retiennent les participants à la formation Réussir sa stratégie PI à l’international ?
La formation n’a pas vocation à traiter spécifiquement de cas particuliers auxquels les participants sont exposés, elle s’attache à exposer des cas pratiques sur des territoires spécifiques.
L’objectif est de traiter de manière transversale des exemples de réussites et aussi d’échecs, en matière de marques et de dessins et modèles (& droit d’auteur), comme de savoir-faire et de brevets.
L’exposé d’expériences décryptées offre une vision pratique aux participants, et comme l’interactivité est réelle j’adapte mon exposé aux expériences partagées. Nous sommes il va de soit toujours attentifs à conserver la confidentialité des informations, donc à projeter une problématique plus qu’un réel dossier ce qui peut provoquer quelques frustrations immédiates, sans pour autant entacher la perception des participants des enjeux auxquels ils devront faire face.
Les différences tant dans la maturité des projets, que dans les domaines d’activité des participants est également un point fort enrichissant pour toutes et tous, qui nous permet de revenir sur les réflexes de base comme d’approfondir des stratégies plus pointues et expertes. Ainsi sensibilisés, les participants se trouvent plus forts pour participer à la construction de la valeur ajoutée qu’un Conseil déploiera sur les cas particuliers auxquels ils sont ou seront exposés.
[1] L’article 7 du Règlement atténue la contrainte de nouveauté en matière de Dessins et Modèles en deux cas :
- En son paragraphe 2, l’article 7 institue un délai de grâce qui bénéficie au titulaire qui aura divulgué l’apparence de son produit dans les 12 mois précédent son dépôt ; et
- En son paragraphe 1, le même article précise que « la divulgation ne détruit pas la nouveauté si celle-ci, dans la pratique normale des affaires, ne pouvait être raisonnablement connue des milieux spécialisés des secteurs concernés, opérant dans la Communauté«
[2] Article 8 – 第八条 任何能够将自然人、法人或者其他组织的商品与他人的商品区别开的标志,包括文字、图形、字母、数字、三维标志、颜色组合和声音等,以及上述要素的组合,均可以作为商标申请注册。
[3] A noter : en Union Européenne la Maison PARFUMS CHRISTIAN DIOR déposait en 2010 quatre vues du même flacon pour obtenir une protection par marque 3D, enregistrée sous le numéro 008942807.
[4] A noter également : le TRAB précise également que le signe 3D pourra également être aisément perçu comme un « récipient ordinaire » dépourvu de caractère distinctif (intrinsèque) pour tous les autres produits désignés (savons, shampoing…) au motif que les preuves ne suffiraient pas, pour ces produits, à démontrer l’acquisition de caractère distinctif par l’usage).
Pour aller plus loin, l’IEEPI et Soazig Thémoin vous proposent la formation :
- Réussir sa stratégie PI à l’international – 7 et 8 novembre