Titularité des droits de propriété intellectuelle sur un logiciel développé pour une entreprise – Paroles d’experts
Publié le lundi 21 juin 2021Pour aller plus loin, l’IEEPI et Bernard LAMON vous proposent la formation suivante :
Paroles d’experts : Bernard LAMON
L’IEEPI donne la parole à ses experts, aujourd’hui Bernard LAMON, Avocat spécialiste en droit des technologies / Avocat au Barreau de Paris.
Il répond à la question suivante : Qui est titulaire des droits de propriété intellectuelle sur le logiciel développé pour une entreprise ?
Quand une entreprise fait développer un logiciel, elle estime en général qu’elle en est propriétaire. Est-ce bien toujours le cas ?
C’est un véritable « point aveugle » que l’on rencontre en pratique dans beaucoup de situations. Une entreprise fait développer un logiciel, et quelques mois ou années plus tard, veut le faire évoluer en interne ou par un nouveau prestataire, ou le valoriser dans le cadre d’une levée de fonds. L’analyse juridique détaillée démontre très souvent à ce moment-là que la situation n’est pas si claire juridiquement.
Pourtant, un logiciel développé par un salarié appartient à l’entreprise ?
Oui, c’est exact. Pour reprendre le fil du raisonnement, il faut d’abord rappeler que ce sujet se traite dans le cadre du droit d’auteur. Le principe applicable aux œuvres créées par un salarié est que le salarié reste titulaire des droits de propriété intellectuelle sur l’œuvre.
En matière de logiciel, ce principe est renversé, il y a une exception posée par les dispositions de l’article L 113-9 du code de la propriété intellectuelle.
Donc, dans le cas relativement simple où une entreprise a demandé à un ou plusieurs salariés de développer un logiciel, les droits de propriété intellectuelle sont attribués à l’entreprise. Il y a peu de jurisprudence, et les décisions sont anciennes, même si elles sont très majoritairement favorables à l’employeur. En droit, la situation envisagée par l’article L 113-9 du code de la propriété intellectuelle doit s’interpréter strictement (car elle constitue une exception au principe selon lequel le droit d’auteur n’est pas transféré de plein droit à l’employeur). Or, cet article L 113-9 du code ne parle que des salariés missionnés pour développer des logiciels au sens strict. Il ne concerne donc pas les salariés prenant l’initiative de développer des logiciels, ni surtout les stagiaires et les mandataires sociaux.
Mais le logiciel est souvent une œuvre collective, ce qui résout le problème en faveur de l’entreprise ?
Oui, c’est un chemin parfois emprunté par la jurisprudence, par exemple dans une affaire où la Cour de cassation avait rappelé le principe selon lequel une personne morale ne pouvait pas être titulaire des droits de propriété intellectuelle (Cour de cassation, 15 janvier 2015, 13-23.566). La cour d’appel de renvoi a contourné le problème en qualifiant le logiciel d’œuvre collective, ce qui aboutissait à attribuer les droits de propriété intellectuelle à la société (Cour d’appel de Paris, 17 mai 2016, n° 15/09048).
Cette solution suppose qu’il y ait une « fusion des contributions », c’est-à-dire qu’on ne puisse pas déterminer quelle partie du logiciel a été développée par qui. Or, il est de plus en plus courant que le développement d’un logiciel soit suivi en utilisant un outil du type GitHub qui permet de retrouver précisément qui a développé quels morceaux de code et à quel moment. Dans ce cas, il est possible de distinguer précisément les contributions de chaque développeur (on parle des « commits », ou publications, des développeurs), et il n’y a pas « fusion des contributions ».
Et un logiciel financé par l’entreprise, commandé auprès d’un prestataire ?
Dans le secteur informatique, il est généralement admis que l’entreprise qui a commandé et payé des développements informatiques en est propriétaire. En pratique, les contrats sont souvent silencieux sur le sujet, ou très lapidaires sur le sujet.
Or, le code de la propriété intellectuelle semble imposer que toute cession de droits de propriété intellectuelle soit constatée par écrit. L’article L 131-2 du code de la propriété intellectuelle a été modifié par une loi de 2016 et semble étendre cette exigence d’un écrit à tous les contrats, y compris en matière informatique. Même si on peut s’appuyer sur une réponse ministérielle de 2018 qui écarte cette interprétation rigoureuse pour les œuvres protégées par le droit d’auteur dans le domaine des « arts appliqués », et qu’il n’y a pas de jurisprudence à ce sujet, cela laisse une véritable incertitude. L’entreprise qui souhaite changer de prestataire informatique (par exemple pour faire évoluer par un deuxième prestataire le logiciel développé par un premier prestataire) se trouve donc dans une situation inconfortable.
Face à ces incertitudes, que conseillez-vous ?
Toutes ces situations peuvent se régler par le contrat. La situation évolue, mais le secteur informatique est encore un domaine dans lequel les aspects juridiques, la rédaction soignée des contrats, sont souvent secondaires.
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