Et si la crise covid-19 avait contribué à démasquer un nouveau type de troll de brevet ? – Paroles d’experts
Publié le lundi 11 janvier 2021Pour aller plus loin, l’IEEPI et Julien Pénin vous proposent les formations suivantes :
Paroles d’experts : Julien Pénin
L’IEEPI donne la parole à ses experts, aujourd’hui Julien Pénin, Professeur en sciences économiques à l’Université de Strasbourg (FSEG / BETA).
Il nous propose une analyse sur :
« Et si la crise covid-19 avait contribué à démasquer un nouveau type de troll de brevet ? »
Julien Pénin, vous et deux coauteurs publiez dans la Revue Française de Gestion (*) un article sur l’arrivée possible d’une nouvelle génération de trolls de brevets. D’où est venue cette idée ?
Par les médias tout simplement. Le 9 mars 2020, l’entreprise Labrador Diagnostics, une entité juridiquement rattachée à Fortress Investment Group (FIG), a déposé une plainte devant la cour de Delaware contre BioFire (entreprise acquise en 2014 par Biomérieux). Or, Biomérieux venait juste de révéler le 26 février 2020 l’existence de projets en cours pour le test du COVID-19. La plainte de FIG était ainsi plus que malvenue en ce contexte de crise sanitaire mondiale et a bien entendu soulevé un tollé général. Cela nous a donné l’idée avec mes collègues Jamal Azzam et Cécile Ayerbe de regarder un peu plus en détail la stratégie du groupe financier FIG.
Avant tout, pouvez-vous nous rappeler en quoi consiste le modèle d’affaires des trolls de brevet ?
Présents dans le paysage de l’innovation depuis deux décennies, les trolls de brevet sont des acteurs qui spéculent sur le litige de brevet afin de forcer les entreprises industrielles à leur reverser des indemnités financières. La littérature s’accord à mettre en avant deux éléments essentiels concernant les trolls : 1) ils ne poursuivent pas d’activité de production et acquièrent des brevets en vue prioritairement de les utiliser pour attaquer en justice des entreprises industrielles. 2) Ils pratiquent le « hold-up » c’est-à-dire qu’ils n’attaquent généralement que lorsque les industriels ciblés sont engagés par des investissements irrécouvrables et se trouvent ainsi dans une position de négociation très désavantageuse.
Par rapport à ce modèle historique, en quoi consiste le nouveau modèle contaminant que vous avez mis en avant ?
En nous basant sur l’étude du cas de FIG, nous montrons que des acteurs financiers peuvent inciter les entreprises technologiques qu’ils financent à se transformer en troll c’est-à-dire à se détourner de leurs activités technologiques et industrielles pour s’orienter de plus en plus vers des activités de monétisation de leurs brevets. Nous parlons alors de trolling contaminant car dans ce modèle les trolls ne se contentent pas directement d’attaquer des industriels mais transforment d’autres entreprises en trolls par le biais de montages financiers. Par exemple, en utilisant des prêts cautionnés par des brevets, FIG est en mesure de faire pression sur les entreprises qu’elle finance afin de réorienter leurs activités vers les activités de monétisation plus immédiate de leurs brevets et vers le litige.
Pouvez-vous nous expliquer comment vous avez pu mettre en avant ce nouveau modèle contaminant ?
Notre recherche n’en est qu’au début. Nous n’avons pas encore d’analyse empirique exhaustive. Nous avons néanmoins commencé à étudier certaines des entreprises technologiques auxquelles FIG a accordé des prêts ces dernières années. En nous basant sur une comparaison avant-après nous avons pu mettre en avant des changements qui nous semblent assez significatifs dans le comportement de ces entreprises. Dès lors qu’elles obtiennent un prêt de FIG elles ont par exemple tendance à réduire leurs investissements en R&D, à investir davantage dans le licensing et à être davantage impliquées dans des litiges de brevets.
Quelles pourraient être les conséquences économiques de ce nouveau type de trolling ?
Globalement, les études empiriques montrent que le comportement opportuniste et prédateur des trolls a un impact négatif sur les entreprises innovantes. Par exemple, des chercheurs américains ont montré que sur la période 2007-2010 les industriels américains ont dépensé plus de 83 milliards de dollars, soit l’équivalent de plus du quart des dépenses américaines annuelles en R&D, dans des affaires contre des trolls. De par son aspect viral qui multiplie son potentiel, il est vraisemblable que si le modèle de trolling présenté dans cet article venait à se répandre, les conséquences sur le processus d’innovation seront encore plus significatives et durables. Sans aucun doute les victimes à grande échelle seront les entreprises innovantes et les industriels.
(*) Ayerbe C., Azzam J., Pénin J. (2020), « Crise du COVID-19 : une nouvelle génération de trolling de brevets contaminants démasquée ? », à paraître, Revue Française de Gestion.
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