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La ruée vers l’or des données personnelles

Publié le jeudi 7 mars 2013

La ruée vers l’or des données personnelles

Nos données personnelles sont la matière première sur laquelle des géants tels Google, Amazon, Apple ou Facebook contruisent leur modèle et assurent leur richesse. Quand Big Brother rime avec big business.

Facebook n’a pas été créé pour être une entreprise mais pour remplir une mission sociale : rendre le monde plus ouvert et connecté. » Ainsi parlait récemment Mark Zuckerberg, PDG et fondateur du réseau social le plus fréquenté au monde. On peut dire que le jeune homme de 28 ans a atteint son objectif : près de un milliard de Terriens partagent volontiers des tranches de vie avec leurs amis, « likant » leurs préférences, commentant leurs coups de coeur, signalant leur présence ici ou là… Chacun jugera le paradigme de Zuckerberg à l’aune de ses convictions et de son expérience. Mais neuf ans après sa naissance, Facebook est bel et bien une entreprise et son patron est milliardaire. Cotée, elle aligne des revenus en hausse régulière et prospère sur un modèle économique assez simple dans son énoncé : butiner les informations numériques laissées dans notre sillage pour en faire un miel vendu aux annonceurs. Un étudiant autrichien, Max Schrems, qui a eu la curiosité de demander le relevé de son activité sur Facebook a reçu… 1 222 fichiers ! Les coordonnées d’une personne se retrouvent en moyenne dans environ 400 fichiers, pointe également Alex Türk, ancien président de la Cnil.
Facebook  : 5 dollars par tête

Ordinateurs, téléphones, smartphones et tablettes, GPS, distributeurs de billets, cartes d’accès et de paiement : les pompes à données privées sont innombrables et le carburant est aussi précieux que l’or. La vie personnelle d’un Européen « vaudrait » aujourd’hui plus de 600 euros (services gratuits, impact sur l’économie) à en croire une étude du Boston Consulting Group . Et trois fois plus en 2020. A raison de 5 milliards de dollars de revenus pour 1 milliard de profils, Facebook tire en moyenne 5 dollars par profil. Les utilisateurs ne sont pas dupes : « L’internaute a compris le deal et a une conscience accrue de sa valeur », rappelle Alain Levy, président-fondateur de l’agence Weborama, à la devise explicite : from data to value.

De fait, les données de toute nature sont une matière première qu’il faut extraire, raffiner, transformer, valoriser… Elle coule à flots. Selon IBM, 90% des données hébergées par les disques durs et les serveurs ont été collectées au cours de ces deux dernières années. Cette révolution sociétale et économique bouscule les pouvoirs publics, européens en tête, décidés à réguler et à taxer ces flux encore peu contrôlés (voir p. 51). Ainsi, Google est de plus en plus menacé de sanctions de la part des « Cnil » européennes. Et, en France, le gouvernement espère introduire des mesures de taxation des données personnelles dans la loi de finances de 2014, comme l’a déclaré récemment la ministre déléguée à l’Economie numérique, Fleur Pellerin.
Les data centers, nouveaux fort Knox

Pour les entreprises, les data centers sont de véritables actifs stratégiques (voir diaporama, plongée au sein des data centers de Google) , jalousement préservés, inaccessibles même aux autorités des Etats. Facebook a dépensé plus de 1 milliard de dollars en infrastructures en 2011, dont une large partie pour financer ces gigantesques réservoirs à données, situés dans l’Oregon, en Caroline du Nord, en Virginie, en Californie… Il en va de même pour Google. Nos vies et nos envies, nos faits et gestes intéressent en effet au plus haut point les géants américains du Net, qui écrasent de leur force de frappe le monde numérique. La capacité d’influence des seuls « Big Four » ou « Gafa » -Google, Apple, Facebook et Amazon -est à la mesure de leur puissance économique : plus de 800 milliards de dollars cumulés en Bourse et 300 milliards de chiffre d’affaires annuel.

Ces quatre acteurs défendent bec et ongles leur territoire. « Ils partent de modèles différents mais sont tous en forte compétition pour la même chose : capter et garder les individus qui pénètrent dans leur orbite », explique Jérôme Colin, du cabinet Roland Berger. Google et Facebook sont deux purs acteurs d’Internet. Le premier est un pionnier (1998) qui a banalisé à son profit la recherche sur le Web, le second est un brillant jeunot (2004) promoteur du réseau social universel. Tous deux ont la même façon de valoriser les informations lâchées par les visiteurs : le ciblage comportemental. Autrement dit, proposer le bon message à la bonne personne au bon moment (lire aussi  : Facebook rachète Atlas Adviser Suite )
Commerce et pub  : deux modèles différents

Apple et Amazon, eux, sont des commerçants. Le premier, vénérable ancêtre (1976), bonifie les données en vendant des biens matériels et numériques en magasin (382 à octobre 2012) et en ligne au sein d’un écosystème fermé. Le second bataille depuis 1994 pour s’imposer comme le e-marchand de référence, livrant ses produits à partir de gigantesques entrepôts physiques (89) ou en ligne pour les biens numériques. Ces modèles sont radicalement différents. « Ceux d’Apple et d’Amazon sont structurés autour de la vente de produits et de services, ceux de Google et Facebook autour de la publicité », résume Olivier Vialle, du cabinet PwC. Apple et Amazon restent ainsi dans une quête plutôt basique d’informations avec pour but la recommandation de produits et l’incitation à l’achat. De la « business intelligence » assez classique. Mais ces commerçants conservent nos données bancaires, information critique s’il en est ! Un préalable, par exemple, pour accéder à iTunes et à l’App Store. Histoire de nous faciliter la vie, bien sûr…
Si c’est gratuit, c’est que vous êtes le produit

La notion de service gracieux est au coeur du modèle de Google et de Facebook, en quête de gros volumes et de données variées. Tout ce qui est tapé, cherché, posté, les intéresse, pour être agrégé et recoupé. Et Google est hors concours à force d’empiler les services gratuits -une soixantaine environ -de Gmail à Google Search en passant par Google Maps ou YouTube… difficile de s’en passer. Mais si c’est gratuit, c’est que le produit c’est vous, rappellent les pros du marketing. Au final, « Google est le plus capable d’obtenir des informations car le plus capable de nous suivre », estime Jean-Charles Ferreri, du cabinet Roland Berger. Il sème derrière nous de petits cailloux -les « cookies », ces microfichiers attachés à l’identifiant -faisant de l’internaute un Petit Poucet qui s’ignore : « 2% seulement des internautes gèrent régulièrement leurs cookies », note Alain Levy. Chacun peut s’en faire une idée en chargeant sur son ordinateur Collusion , de Mozilla. Le logiciel visualise le parcours de nos données de site en site. Qui a vraiment envie, aussi, de lire les 4 000 mots qui décrivent les conditions générales d’utilisation (CGU), les règles de confidentialité ( comme celles de Google )  ?
L’arme fatale de Google  : son moteur

La multiplicité et l’enchevêtrement des services offerts en échange peuvent séduire par leur efficacité. C’est l’objectif. Donnant donnant. Google Now « sait » que mon avion se pose à Roissy dans 50 mn et peut me proposer la réservation d’un taxi. Dans le guidage, le suivi des habitudes (lieux fréquentés, itinéraires) permet de suggérer une destination en fonction de la position et de l’heure. Mais l’arme fatale de Google reste son moteur de recherche. « Il dispose d’un produit d’appel extraordinaire, 70% des recherches effectuées sont sans intérêt commercial direct mais elles créent et consolident la proximité et l’adhésion à la marque. Il peut alors vendre très cher les 30% de recherches plus commerciales », explique Jean-Charles Ferreri. L’avantage est certain tant pour monétiser l’audience que pour améliorer les services. Avec le volume, ses multiples plates-formes, une infrastructure et les algorithmes les plus puissants des Gafa, et sa régie publicitaire (DoubleClick), Google livre à ses clients de la performance. Les liens sponsorisés (Adwords) lui ont rapporté à eux seuls 31 milliards de dollars de revenus en 2012, soit les deux tiers de son chiffre d’affaires. Paradoxalement, la collecte de masse renforce l’anonymat en estompant les individus. Le modèle reste centré sur la quantité plutôt que sur l’intelligence. Facebook a une approche plus qualitative. Mark Zuckerberg veut permettre à chaque abonné de transformer son profil en un « hub » de communication entre amis. L’annonce récente d’une possibilité de téléphonie gratuite, via le wi-fi et la messagerie de Facebook va en ce sens, tout comme le nouveau moteur interne Graph Search. Moins contextuel que celui de Google et fondé sur l’exposition de la vie privée, le modèle Facebook est plus sensible aux problèmes de confidentialité des données. L’entreprise assure consacrer 10% des ressources de ses data centers à leur protection.
Tester en permanence les limites du tolérable

Mais Facebook, comme ses concurrents, teste en permanence les limites. Quid des shadow profiles, par exemple, qui résultent des commentaires et photos postés par les « amis » et les amis d’amis, en principe non exploités ? Quid du marquage des images et des logiciels de reconnaissance faciale de plus en plus puissants ? Google avec Picasa, Apple avec iPhoto et Facebook avec Instagram sont prêts à en tirer profit. La tentative récente de Facebook de changer les CGU d’Instagram pour récupérer la propriété commerciale des photos postées -il a vite reculé devant le tollé et la fuite de quelques millions d’abonnés -a montré la sensibilité du public à la question. Facebook a dû également arrêter en 2009 son service publicitaire Beacon, lancé quelques mois plus tôt. Cet outil publiait sur les pages des abonnés les achats effectués sur d’autres sites. Un ciblage superefficace, très incitatif, mais jugé trop intrusif et qui a déclenché aux Etats-Unis… une class action soldée par 20 millions de dollars d’indemnités. Les internautes sont aussi ambigus. Apple et Google sont sortis cette année du top 20 du Ponemon Institut, qui classe les entreprises protégeant le mieux les données personnelles. Amazon est troisième, Facebook est absent. Et selon Pew Internet, un Américain sur deux a déjà désinstallé une appli de son smartphone pour des raisons de confidentialité. Pourtant, Apple et Google restent les firmes préférées des étudiants européens.
Les ecossystèmes se referment et convergent

Entre les Gafa, la guerre fait rage pour capter la confiance et l’intérêt des uns et des autres. Les écosystèmes se referment. Mais chacun vient butiner le pollen des autres. Amazon, comme Google, fait du « cloud » pour autrui un axe de développement. Facebook lance des cartes prépayées, comme Apple, dans plusieurs enseignes aux Etats-Unis ; Amazon va proposer une monnaie virtuelle. Côté matériel, Google -déjà en opposition avec Apple via Android -rachète Motorola et va ouvrir des Google Stores ; Amazon a lancé ses Kindle… Après le e-business (Apple, Amazon) et le me-business (Google, Facebook) il s’agit de ne pas rater ce mouvement qui fait converger publicité et commerce vers ce que l’ex-chief scientist d’Amazon, Andreas Weigend, professeur à Stanford, appelle le we-business : une nouvelle relation très imbriquée entre consommateurs et entreprises. En attendant, par ici vos données !

Sources : Claude Vincent pour Enjeux Les Echos

 

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