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La cuisine s’accommode mal avec le droit d’auteur

Publié le lundi 5 novembre 2012

La cuisine s’accommode mal avec le droit d’auteur

Le «producteur gastronome» de l’émission Master Chef diffusée sur TF1, Brice Marion, précisait, au sujet des plats conçus par les candidats, que «n’importe quel cuisinier dans le monde peut les proposer à la carte de son restaurant» étant donné qu’«il n’existe pas de copyright sur les créations culinaires».

Un propos qui étonne dans un pays où la tradition culturelle assimile aisément le cuisinier à un artiste comme un autre et qui, dans cette logique, pourrait se prévaloir d’un statut d’auteur. Outre-Atlantique, une chef new-yorkaise avait poursuivi son ancien sous-chef devant la justice pour avoir utilisé des croûtons de muffin dans la salade Caesar à la carte de son nouveau restaurant, une touche qu’elle utilisait au restaurant et qu’elle tenait de la cuisine de sa mère. Enjeux économiques, question d’ego et médiatisation des chefs font que ce type de conflits pourrait se multiplier.

Cependant, le droit peine à rentrer en cuisine. Pour qu’une création culinaire soit protégée par le code de la propriété intellectuelle, il lui faudrait répondre à trois critères: est-une œuvre de l’esprit? Est-elle matérialisée dans une forme concrète (une idée ne suffit pas, il faut qu’elle soit «rédigée»)? Porte-t-elle l’empreinte de la personnalité de son auteur, selon la terminologie consacrée par la jurisprudence (critère de l’originalité)?

Les cinq sens 

Le code de la propriété intellectuelle ne rejette pas la possibilité d’avoir la création culinaire reconnue comme une «œuvre de l’esprit» dans la mesure où elle fait appel à l’un des cinq sens. Pour l’instant, ne sont listées que des œuvres perceptibles par l’ouïe et la vue. Ce n’est pas une liste qui se caractérise par son exhaustivité, a toutefois rappelé en 2006 le tribunal de grande instance de Bobigny. Peu de cas sont néanmoins portés devant la justice.

En Belgique, la question a, en partie, été résolue lorsqu’en 2010 le tribunal de commerce de Liège a estimé que la création d’une recette de cuisine, similaire à un «programme d’ordinateur», ne pouvait bénéficier des droits d’auteur «si elle se contente d’énoncer les ingrédients nécessaires et les différentes opérations à réaliser en une formule strictement fonctionnelle».

Pour les chefs, la création culinaire ne peut être résumée à une suite de tâches qui aboutirait au même résultat à chaque tentative. «La cuisine, c’est quelque chose d’éphémère et se reproduit tout le temps à chaque assiette qu’on sort», affirme Adeline Grattard, chef et dirigeante du Yam’Tcha qui propose des mets franco-asiatiques, une étoile au Michelin. La cuisine est une question de sélection d’ingrédients, de dosage et de dressage. Et d’«émotion», rajoute Christophe Michalak, chef pâtissier de l’hôtel Plaza Athénée qui «ne demande jamais de recettes».

«Si je goûte quelque chose de fantastique, je passe des heures dans mon laboratoire pour retrouver l’émotion.»

Si la cuisine est une affaire de transmission, il paraît peu aisé de retracer les origines multiples d’un plat. L’idée d’une bibliographie associée à chaque plat paraît peu commode en pratique. «J’ai un vrai souci avec ça, on n’a pas créé nos recettes d’un seul coup de baguette. Il ne faut pas se leurrer, plein de recettes sont vues ailleurs», affirme Christophe Michalak. Il cite en exemple la religieuse au caramel beurre de sel que d’anciens membres de son équipe font comme «une forme de transmission». Toutefois, «s’approprier le travail de quelqu’un ne peut pas se faire dans la continuité», estime Adeline Grattard. Au bout d’un moment, si l’on ne fait que copier, cela finit par se voir.

Les cartes ont tendance à se ressembler 

Des sociologues ont étudié un système de régulation sociale propre au milieu de la gastronomie française en 2006. Comment un chef, dénué d’outils juridiques, est-il à même d’imposer l’originalité de sa création, alors que d’aucuns caractérisent notre époque davantage comme le temps de la fusion, de la déclinaison plutôt que de l’innovation à proprement parler?

«Toutes les cartes ont tendance à se ressembler», observe le chef Alain Senderens, interrogé dans le cadre d’une journée d’études sur la cuisine et l’art. Au début des années 1980, sous le ministère Lang, il avait, en vain, entrepris des démarches allant dans le sens d’une plus grande protection intellectuelle de la création culinaire. «Au début de la nouvelle cuisine, c’était facile car on était les premiers. Cela devient plus difficile aujourd’hui d’avoir des idées propres.» Pour autant, «on va aujourd’hui manger chez quelqu’un parce qu’il a une identité culinaire», estime le chef exécutif du restaurant Senderens, Jérôme Banctel.

Un type de cuisine est régulièrement cité quand il s’agit de traiter de l’innovation en cuisine: la cuisine moléculaire. Perçue comme plus technique, plus audacieuse et savante, pourrait-elle pour autant être davantage protégée par le droit?

Pour Anne Cazor, à la tête de Cuisine Innovation qui se propose d’«apporter des connaissances scientifiques à des chefs», la cuisine moléculaire représente davantage «une démarche qu’un type de cuisine» et quand c’est le cas, «cela devient une cuisine de show». «On n’est plus dans le copiage du voisin quand on a compris les mécanismes physico-chimiques de la cuisine.» Toutefois, un chef ne travaille pas seul en cuisine; il est accompagné de sa brigade. La création revêt alors une dimension collective et il paraît plus difficile de la protéger à la vue et au su de tous.

La création culinaire fait encore plus fi des supports et des lieux. Avantage aux recettes et idées qui se multiplient sur Internet ou encore à la mondialisation et aux voyages qui accroissent les sources d’inspiration. «Tout est mis à nu en cuisine aujourd’hui, et c’est utilisé à bon ou mauvais escient», estime Adeline Grattard. «Protéger une recette avec tous les outils médias existants, c’est difficile. Et cacher, ce n’est plus la tendance actuelle», renchérit Jérôme Banctel. «La tendance des jeunes cuisiniers est plutôt à l’échange d’idées, de fournisseurs, etc.»

Un gage de célébrité

Dans tous les cas, pourrait-on concrètement vérifier et appliquer une protection intellectuelle des créations culinaires? Les chefs restent sceptiques. «Défendre son petit truc pourrait être considéré comme de la prétention», avance Adeline Grattard. Et puis, «si on vous copie, c’est que vous êtes bon», avance Pierre Gagnaire, chef du restaurant éponyme, pour qui «le problème, c’est pas de n’être pas protégé».

«On est des cuisiniers, on fait de la cuisine. Restons simples.»

Pour Jérôme Banctel, aujourd’hui, le moyen le plus aisé pour protéger sa création serait justement de la publier. «Si on a une superbe idée, on s’empresse de la diffuser pour ne pas se la faire copier. On l’immortalise en divulguant l’information au maximum.»

Le débat s’inscrit également dans une réflexion plus générale sur la progression du droit face à la force de l’innovation et de l’expérimentation. Si, certes, cela constituerait un argument supplémentaire pour inventer, son corolaire pourrait être celui de la perte de temps et des frais judiciaires à engager à faire reconnaître l’originalité du plat en question. «Les règles sociales m’emmerdent, on devrait prendre du temps à avancer pour concevoir de nouvelles techniques», résume Christophe Michalak.

 

Sources : Judith Chetrit pour Slate.fr

 

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