Le Brexit hypothèque le projet de brevet européen
Publié le lundi 1 août 2016Cela fait trente ans que les professionnels l’attendent. Tout le dispositif est prêt, mais le brevet unitaire européen, qui devait entrer en vigueur en 2017, pourrait bien être une victime collatérale du référendum britannique sur le Brexit…
Christopher Weber, avocat associé au cabinet spécialisé en propriété intellectuelle Kather Augenstein à Düsseldorf, explique :
Pour que le brevet européen soit mis en place, son traité doit encore être ratifié par la Grande-Bretagne alors même que la population britannique s’est clairement prononcée contre l’Union européenne. Je ne vois pas comment cela serait possible.
Une juridiction unifiée du brevet
Or, pour les Peugeot, Sanofi, Daimler, Siemens et autres, le brevet unitaire européen représente une révolution. Tout le secteur s’y était préparé. Certes, les industriels peuvent déjà déposer leurs inventions auprès du guichet central de l’Office européen des brevets (OEB), basé à Munich. Mais lorsqu’elles sont contestées, les litiges sont traités au niveau des juridictions nationales.
Le futur projet doit y remédier avec l’installation d’une juridiction unifiée du brevet (JUB). Autrement dit un tribunal européen des brevets. Résultat de longues tractations, son siège est prévu à Paris, Londres doit récupérer les litiges sur la pharmacie et Munich ceux sur l’ingénierie. « On voit mal comment cet édifice tiendrait sans le Royaume-Uni », selon un juriste.
Des économies de coûts substantielles
L’Office européen, qui promet des économies de coûts substantielles aux déposants, se montre déterminé. « L’OEB prévoit que le Royaume-Uni et les États membres participants trouveront le plus rapidement possible une solution permettant une mise en œuvre intégrale de ces acquis longtemps attendus », déclare son président, Benoît Battistelli.
De fait, la communauté juridique est partagée sur les effets du référendum britannique. « Le Royaume-Uni peut ratifier le traité relatif à la JUB avant de quitter l’Union européenne et continuer à remplir ses obligations une fois que le Brexit est effectif », affirme Winfried Tilmann, avocat au cabinet Hogan Lovells à Düsseldorf.
Mais il y a un hic. En 2011, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a estimé que le futur tribunal européen des brevets ne pourrait être ouvert qu’aux membres de l’Union européenne (UE). Or c’est elle qui veille à l’interprétation uniforme du droit de l’Union. Ses décisions sont contraignantes, par exemple sur des sujets clefs comme les biotechnologies.
Ignorer le vote des Britanniques ?
Winfried Tilmann juge qu’il suffirait d’ajouter une clause à l’accord sur la JUB, qui n’est pas un traité de l’Union européenne mais un accord international entre Etats contractants et offre donc une certaine flexibilité. D’autres experts lui reprochent d’argumenter sur le plan uniquement juridique et d’ignorer le vote des Britanniques.
Alors que Londres n’envisage pas de commencer les négociations sur les conditions de sortie de l’UE avant l’an prochain, ratifier le texte avant cette étape paraît en tout cas compliqué. Quant à un brevet unitaire européen sans le Royaume-Uni, il perdrait une grande partie de son intérêt. « Dans le meilleur des cas, le brevet européen verra le jour en 2018 ou 2019 », juge Winfried Tilmann. Pour Christopher Weber, c’est une vision optimiste.
Sources : Thibaut Madelin pour Les Echos.