Quel formalisme pour les contrats de cession de droits d’auteur ? – Paroles d’experts
Publié le jeudi 18 mars 2021Pour aller plus loin, l’IEEPI et Marie Sonnier-Poquillon vous proposent la formation suivante :
Paroles d’experts : Marie Sonnier-Poquillon
L’IEEPI donne la parole à ses experts, aujourd’hui Marie Sonnier-Poquillon, Avocat spécialiste en droit de la propriété intellectuelle et des nouvelles technologies.
Elle nous présente un état à jour des règles juridiques applicables en matière de cession de droits d’auteur : Quel formalisme pour les contrats de cession de droits d’auteur ?
Quand un contrat de cession de droits d’auteur est-il nécessaire ?
L’établissement d’un contrat de cession de droits d’auteur est nécessaire chaque fois que l’on souhaite exploiter une création susceptible d’être protégée par des droits de propriété littéraire et artistique réalisée par un tiers.
Dans ce cadre, des créations de tous types sont possiblement concernées. Cela peut recouvrir un champ très large, qui comprend bien évidemment les œuvres dites « d’art pur » (musique, théâtre, littérature, peinture, etc…), mais également les œuvres d’art appliqué (photographies, illustrations graphiques telles que des icônes ou logos, articles de mode, meubles, etc…) ainsi que les créations informatiques ou numériques (et notamment les logiciels qui bénéficient néanmoins d’un régime particulier).
Juridiquement, la seule condition exigée pour que des créations soient protégées, peu importe leur genre ou leur nature, est qu’elles soient originales. Ce sont les Tribunaux qui se chargent d’apprécier cette originalité. Il reste que cette appréciation est nécessairement subjective et suppose une analyse au cas par cas.
C’est ainsi que la Cour d’Appel de Paris a considéré qu’une photographie du violoniste Yehudi MENUHIN réalisée par un photographe professionnel était originale car le cliché traduisait une approche propre au photographe exprimant sa sensibilité personnelle à la musique et son admiration pour l’artiste (Cour d’Appel de Versailles, 9 février 2021, n°19/01470). A l’inverse, dans une autre affaire, la Cour d’Appel de Rennes a refusé la protection à des plans d’architecture et des vues 3D réalisés par la société COCOON HABITAT consistant en « l’assemblage de plusieurs structures en forme de parallélépipèdes, de hauteurs différentes, recouvertes de toits terrasses, dotées de baies vitrées ou d’ouvertures en bandeaux, ne se distinguent pas avec évidence dans l’aspect extérieur de l’ouvrage de ceux habituellement proposés par les maîtres d’œuvre pour des constructions réalisées au sein de lotissements » (Cour d’Appel de Rennes, 21 janvier 2021, n°18/06044).
Aussi, et de manière générale, en cas de doute sur l’originalité d’une œuvre, la prudence consiste à prévoir un contrat de cession de droits.
Pourquoi un contrat de cession de droits d’auteur est-il nécessaire ?
L’établissement d’un contrat de cession de droits d’auteur est nécessaire dès lors que, si l’on exploite une création protégée sans l’autorisation de son auteur ou du titulaire des droits, l’on s’expose à des griefs de contrefaçon. En effet, toute utilisation d’une œuvre sans titre est juridiquement considérée comme une contrefaçon (article L.122-4 du Code de la propriété intellectuelle).
Or, en France, la contrefaçon est passible de sanctions pénales (qui peuvent aller jusqu’à 3 ans de prison et 300.000 euros d’amende, article L.335-2 du Code de la propriété intellectuelle) et civile (dommages et intérêts, mesures d’interdiction, publications judiciaires, etc…).
Un contrat de cession de droits d’auteur doit-il nécessairement être écrit ?
Oui. Depuis la loi n°2016-925 du 7 juillet 2016 « relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine », toute cession de droits d’auteur doit être constatée par écrit (article L.131-2, alinéa 2 du Code de la propriété intellectuelle).
Cette loi, quoiqu’elle ne soit pas spécifiquement dédiée à la propriété littéraire et artistique, a permis de lever une ambigüité sur la nécessité d’établir un écrit pour tous les contrats de cession de droits d’auteur. En effet, jusqu’alors, une partie de la doctrine et de la jurisprudence considérait que seuls certains contrats, et spécialement le contrat d’édition et le contrat de production audiovisuelle, étaient soumis à ce formalisme.
La Cour de cassation avait notamment rendu en 2014 un arrêt dans lequel elle avait refusé de qualifier de contrat d’édition un contrat de cession de droits portant sur des contributions accessoires (en l’occurrence des illustrations destinées à des livres éducatifs). Elle avait alors considéré que cette cession pouvait être prouvée dans les conditions du droit commun, sans nécessité d’écrit (Cass.civ 1ère, 2 juillet 2014, n°13-24.359).
Cette jurisprudence est maintenant périmée et l’écrit est désormais la règle (sauf cas particuliers telles les œuvres de commande pour la publicité sachant néanmoins que, pour des contrats portant sur ce type d’œuvres, l’article L.132-31 du Code de la propriété intellectuelle exige que soit prévue une « rémunération distincte due pour chaque mode d’exploitation de l’œuvre, en fonction notamment de la zone géographique, de la durée de l’exploitation, de l’importance du tirage et de la nature du support », ce qui implique, en pratique, d’établir un écrit).
Comment rédiger un contrat de cession de droits d’auteur ?
L’article L.131-3 du Code de la propriété intellectuelle impose à l’écrit constatant une cession de droits d’auteur un formalisme strict puisqu’il exige que, dans cet écrit, « chacun des droits cédés fasse l’objet d’une mention distincte dans l’acte de cession et que le domaine d’exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée ».
Il faut donc préciser :
- Chacun des droits cédés, qui peuvent être les droits de reproduction (droit de copier), les droits de représentation (droit de diffuser) et les droits d’adaptation (droit de modifier).
- L’étendue des droits cédés, et spécialement les supports d’utilisation (ex : affichage, Internet, télévision, etc…).
- La destination des droits cédés : est-ce pour un usage éducatif, caritatif, commercial, publicitaire, etc… ?
- Le lieu d’utilisation (qui peut être le monde entier mais encore faut-il le préciser).
- La durée d’utilisation (qui peut être la durée de protection par le droit d’auteur).
Si ces mentions sont absentes, incomplètes ou imprécises, il n’y a pas de cession des droits et l’exploitant s’expose à des poursuites en contrefaçon.
C’est notamment ce qu’a décidé la Cour d’Appel de Versailles dans une affaire ayant donné lieu à un arrêt du 22 février 2019. En l’espèce, un directeur artistique free-lance avait réalisé des illustrations pour le compte de l’agence de publicité HAVAS 360. Les parties avaient signé un protocole d’accord prévoyant que le directeur artistique autorisait l’agence HAVAS 360 à utiliser ses créations à titre gracieux pour assurer la promotion de l’agence. La Cour a annulé le protocole d’accord, considérant que « les clauses ne doivent pas être rédigées en termes généraux » et qu’une cession réalisée notamment « sans limitation dans le temps » ne pouvait être valable (CA Versailles, 22 février 2019, n°17/04881).
Ceci démontre la rigueur avec laquelle les Tribunaux peuvent apprécier le formalisme des cessions de droits d’auteur et qui conduit notamment à rendre totalement inefficaces, quoique très largement utilisées, des mentions du type : « tous droits cédés ».
Il doit néanmoins être réservé l’hypothèse dans laquelle un auteur viendrait à contester la validité d’une cession de droits après avoir indiqué qu’il cédait les droits. En effet, dans une telle hypothèse et a fortiori si l’auteur est un professionnel (ex : un photographe, un graphiste, une agence de communication, etc…), il pourra apparaître comme étant de mauvaise foi pour avoir fait faussement croire à l’existence d’une cession des droits qu’il savait en réalité non efficace.
Pour conclure, on voit donc l’importance de respecter avec un formalisme strict les règles juridiques applicables en matière de cession de droits d’auteur, dès que l’on souhaite exploiter une création susceptible d’être protégée par des droits de propriété littéraire et artistique réalisée par un tiers.
Pour aller plus loin, l’IEEPI et Marie Sonnier-Poquillon vous proposent la formation suivante :