Lutter contre la Contrefaçon sur Internet – Paroles d’experts
Publié le vendredi 31 mars 2017Pour aller plus loin, l’IEEPI et Laurence Dreyfuss-Bechmann vous proposent les formations :
Paroles d’experts : Laurence Dreyfuss-Bechmann.
L’IEEPI donne la parole à ses experts, aujourd’hui Laurence Dreyfuss-Bechmann, Avocat / Fidal ¹.
Elle nous propose une analyse sur :
La Contrefaçon sur Internet, difficultés rencontrées et moyens de lutte.
Quelle est l’ampleur du phénomène de la contrefaçon sur Internet ?
Véritable fléau pour la société, la contrefaçon envahit aujourd’hui le monde virtuel.
La révolution Internet a permis un développement exponentiel de la cyber-contrefaçon qui s’étend désormais à tous les secteurs d’activité économique.
Selon les dernières statistiques, la France compterait 55 millions d’internautes, soit 86% de la population française.
Aujourd’hui, plus d’une entreprise sur deux se dit victime de contrefaçon et ce, quel que soit son domaine d’activité, sa taille et son développement économique.
Les contrefacteurs tirent parti des nouveaux canaux de distribution offerts par Internet et notamment des services fournis par les plateformes de vente pour proposer leurs produits illicites.
L’anonymat et le sentiment d’impunité qu’offre Internet a fortement contribué à l’explosion de ce type de commerce illicite. Les saisies en valeur et en quantité des douanes attestent de cette réalité mais aussi de la réactivité des contrefacteurs à répondre sans cesse à de nouvelles demandes.
Lutter contre la contrefaçon sur Internet est devenue une nécessité et une priorité constante pour les titulaires de droits de propriété intellectuelle, mais aussi pour les pouvoirs publics, soucieux de protéger la santé et la sécurité des consommateurs, et les plateformes en ligne, afin de préserver la confiance des internautes.
Quelles sont les difficultés liées à la lutte contre la contrefaçon sur Internet ?
La mondialisation des échanges commerciaux et le développement des nouvelles technologies : dématérialisation, paiements électroniques, e-commerce, ont conduit à un accroissement inévitable de la contrefaçon sur Internet mais aussi à une difficulté plus grande d’appréhension de celle-ci, dans un environnement international complexe.
La contrefaçon sur Internet est par définition immatérielle. La difficulté majeure réside par conséquent dans la matérialisation des actes de contrefaçon commis sur Internet. Avant toute action, il faut pouvoir identifier le ou les contrefacteurs. Cela nécessite souvent d’identifier les flux de distribution et leur origine.
L’exemple des « ventes flash » témoigne des difficultés que cela peut susciter. Il s’agit d’offres promotionnelles de produits en ligne, pendant une durée limitée courte. Généralement, le temps que la contrefaçon soit détectée, l’offre a déjà disparu et le dommage causé. L’auteur de l’offre contrefaisante est alors très difficile à identifier.
Lorsque l’auteur de l’offre contrefaisante est hébergé par un site tiers, il est possible d’agir contre l’hébergeur afin d’obtenir l’identification de l’auteur nécessaire à la mise en œuvre des poursuites.
Les titulaires de droits peuvent se référer aux Conditions Générales d’Utilisation et de Vente qui prévoient généralement la possibilité de signaler les atteintes. Les plateformes doivent ainsi retirer les contenus lorsqu’elles ont connaissance de leur caractère illicite. Mais s’agissant de l’identification de l’auteur des contenus illicites, les titulaires se trouvent bien souvent confrontés au bon vouloir de l’hébergeur, qui est libre de ne pas donner suite à leur demande.
En tout état de cause, les titulaires de droit peuvent toujours recourir à la voie judiciaire pour obtenir la communication de ces informations auprès de l’hébergeur sur le fondement de l’article 6 II de la loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique.
Il convient de préciser que les intermédiaires techniques de l’Internet, tels les fournisseurs d’accès ou les hébergeurs, bénéficient d’un régime favorable de responsabilité, sous réserve toutefois de leur coopération avec les autorités judiciaires pour faire cesser les infractions. Ainsi, seul l’éditeur de contenus illicites est soumis à une obligation de contrôle et peut être poursuivi à ce titre. Néanmoins, la question du statut de la plateforme (éditeur ou hébergeur) et donc de son éventuelle responsabilité, est souvent source de discussions.
La seconde difficulté réside dans l’identification même de la contrefaçon.
Les commandes effectuées sur Internet sont pour la plupart acheminées par la voie postale, et en très petites quantités, ce qui rend difficile la captation des produits contrefaisants par les services des douanes.
Par ailleurs, les titulaires de droits rencontrent des difficultés pour identifier la contrefaçon à partir de l’image diffusée en ligne, faute notamment de pouvoir analyser en détail le produit et son étiquetage. De plus, bien souvent c’est l’image originale du produit qui est diffusée alors que le produit vendu est contrefaisant.
Une autre difficulté réside en outre dans la localisation de la contrefaçon sur Internet, c’est-à-dire dans l’établissement du lieu de l’infraction nécessaire à la détermination de la juridiction territorialement compétente pour sanctionner la contrefaçon.
Les problématiques juridiques liées au choix de la juridiction compétente et de la loi applicable ont donné lieu à une jurisprudence pléthorique en la matière. Dans sa jurisprudence la plus récente (CJUE 22 janvier 2015, C-441/13), la Cour de justice de l’Union européenne semble aujourd’hui retenir le critère de l’accessibilité du site Internet. Ainsi, dès que le site en cause est accessible depuis la France, la sanction de la contrefaçon sur Internet peut relever de la compétence du juge français.
Enfin, l’exécution des décisions obtenues peut également poser problème du fait de la dimension souvent internationale de la contrefaçon sur Internet. De ce point de vue, la détention de titres de propriété industrielle de l’Union européenne représente un réel avantage du fait de leur caractère unitaire. Il en résulte que les décisions sanctionnant l’atteinte portée à ces titres, sont susceptibles de produire effet dans tous les pays de l’Union, soit 28 pays.
Quels sont les moyens de lutte ?
Internet est devenu « la nouvelle frontière » pour les douanes. En réaction à ce phénomène, les services douaniers français ont modifié leurs pratiques. A notamment été créé un service « Cyberdouane » afin de recueillir et d’exploiter toute information utile sur Internet dans le cadre de la lutte contre la cyber-criminalité (dont fait partie la cyber-contrefaçon). De même, les douanes de l’Union européenne ont mis en place une coopération interétatique afin d’uniformiser leurs pratiques.
A noter que les titulaires de droits de propriété intellectuelle ont la possibilité de déposer, à titre préventif, une demande d’intervention auprès des services douaniers. Cette démarche simple, gratuite, valable un an et renouvelable sur demande, permet à la douane de retenir pendant 10 jours tout produit suspect, ce délai permettant aux titulaires de droits de confirmer la contrefaçon.
Toujours à titre préventif, les titulaires de droits peuvent également protéger leurs produits par des techniques d’authentification choisies notamment en fonction des caractéristiques des produits et de leur utilisation.
Ils ont également tout intérêt à mettre en place des cellules de veille sur Internet, afin de détecter les contrefaçons et décider de la meilleure stratégie à suivre.
Les titulaires de droits doivent en tout état de cause développer des solutions adaptées à leur domaine d’activité, notamment à leur production, leurs lieux de diffusion et leur dimension éventuellement internationale.
Ils peuvent par exemple mettre à profit leur réseau de distribution pour détecter les nouveaux produits contrefaisants ou encore procéder à l’achat des produits suspects, avec ouverture des colis par huissier, pour vérifier et faire constater leur nature contrefaisante.
Par ailleurs, de plus en plus vigilantes, les plateformes de vente en ligne sont également impliquées dans la lutte anti-contrefaçon. Elles ont leurs propres outils de surveillance des contenus, à savoir : le filtrage par mots clés puis la veille réalisée par des équipes dédiées et par les utilisateurs eux-mêmes. De plus, certaines plateformes ont adopté le système du tiers de confiance : celles-ci ne paient le vendeur que lorsque l’acheteur ne conteste pas l’authenticité du produit vendu.
Les moyens de lutte ne manquent pas mais ils nécessitent toutefois une participation active et concertée de tous les acteurs du marché pour être efficaces.
Enfin, a posteriori, sur le plan juridique, la contrefaçon peut constituer un délit civil, pénal et douanier, sévèrement sanctionné.
La loi n°2007-1544 du 29 octobre 2007 de lutte contre la contrefaçon est une loi protectrice des titulaires de droits, lesquels peuvent engager auprès des tribunaux compétents, une action civile pour faire cesser les atteintes et obtenir la réparation du préjudice subi, et/ou une action au pénal.
Sur le plan civil, la saisie-contrefaçon constitue un moyen privilégié pour apporter la preuve de la contrefaçon présumée.
A noter qu’en cas d’atteinte imminente, les titulaires de droits peuvent obtenir des mesures d’urgence dans le cadre d’une procédure accélérée, soit par référé, soit sur requête.
¹ L’élève avocate Charlotte Ungerer a également participé à la rédaction de cette publication.
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