L’importance de la MedTech dans l’innovation aujourd’hui – Paroles d’experts
Publié le jeudi 20 mai 2021Pour aller plus loin, l’IEEPI vous propose la formation suivante :
Paroles d’experts : Oung-Heng HENG et Mathias ROBERT
L’IEEPI donne la parole à ses experts, aujourd’hui Oung-Heng HENG et Mathias ROBERT, Conseils en propriété industrielle au sein du groupe Plasseraud IP.
Ils nous proposent une analyse sur : L’importance de la MedTech dans l’innovation aujourd’hui
Avec la crise du COVID-19, nous avons pu voir défiler sur les plateaux télévisés des experts médicaux pour parler de sujets techniques touchant le domaine médical, dont les innovations technologiques tels les vaccins qui focalisent dernièrement toutes les attentions car ils représentent pour beaucoup un espoir de retour à la vie « normale ». Cependant, depuis le début de la pandémie, il a aussi été question des masques pour éviter de répandre le virus par aérosol, des respirateurs pour assister les personnes les plus sévèrement touchées par la maladie et les maintenir en vie, de la plateforme Doctolib pour les consultations à distance puis les prises de rendez-vous de vaccination, des tests antigéniques pour détecter une éventuelle contamination, etc.
Ces sujets ont pour point commun qu’ils ont trait à des dispositifs médicaux mis au point par des entreprises de la MedTech.
Justement, pouvez-vous nous éclairer sur la définition de la MedTech ?
La MedTech est un mot-valise formé par apocope des termes anglais medical et technology et formant l’expression medical technology, soit technologie médicale. Il n’existe pas de définition unique de la MedTech, mais plusieurs qui se recoupent. Par exemple, l’Office européen des brevets (OEB) inclut dans la MedTech les instruments médicaux pour le diagnostic, le traitement des maladies et la chirurgie. L’OEB donne pour exemples les instruments de vaccination, les prothèses, les robots chirurgicaux, la tomographie par ordinateur et les stimulateurs cardiaques. Les finalités de ces dispositifs sont le plus souvent le dépistage précoce d’une maladie, la prévention des complications suite à une opération chirurgicale par exemple, et de manière plus générale, l’amélioration de la qualité de vie.
Cependant, il est également possible d’y inclure l’e-santé qui applique les nouvelles technologies au domaine médical. La e-santé vise notamment à améliorer la prise en charge du patient, à optimiser le parcours de soins, à réaliser un diagnostic précoce grâce en particulier à l’intelligence artificielle, à optimiser la R&D, etc.
Quelle est l’importance de la MedTech dans l’innovation aujourd’hui ?
L’OEB publie chaque année le palmarès des domaines techniques en termes de nombre de demandes de brevet déposées. En 2020, la MedTech est arrivée en tête du classement avec 14 295 demandes de brevet déposées. Ce chiffre représente 2,6% d’augmentation par rapport à 2019. Si l’ensemble des domaines techniques est pris en compte, il y a eu l’année dernière une baisse du nombre des dépôts de 0,7%. La dernière fois que l’OEB a enregistré un taux de croissance des dépôts négatif, c’était en 2016, année où la MedTech a également subi une baisse de 1,2%. Peut-être les efforts pour faire face à la pandémie du COVID-19 ont-ils propulsé le nombre de dépôts dans ce domaine ?
Cependant, la MedTech ne doit pas sa première place à la situation sanitaire. En effet, depuis 2010 elle caracole en tête, avec une exception en 2019 où les télécommunications numériques l’ont dépassée.
Ainsi, la MedTech tient une place prépondérante dans l’innovation aujourd’hui. Par exemple, en France, en 2019, les entreprises de la MedTech présentaient un chiffre d’affaires cumulé de 28 milliards d’euros selon Bpifrance qui compte environ 1300 entreprises françaises dans la MedTech dont 92% sont des PME et 13% sont entièrement dédiées à la R&D. Au niveau européen, france biotech relève qu’en 2020 les entreprises de la HealthTech (qui inclut la MedTech) ont levé 14 milliards d’euros, dont 1,5 milliards par la France, ce qui la classe en deuxième position européenne derrière le Royaume-Uni.
Récemment, la Commission européenne, à travers son fonds EIC intégré à son programme Horizon Europe (programme de recherche et d’innovation avec un budget de 95,5 milliards d’euros) a choisi une entreprise de la MedTech pour son premier investissement : Corwave, une entreprise développant des pompes cardiaques.
Ainsi, la MedTech a le vent en poupe. On comprend que l’innovation est au cœur du système de la MedTech, et l’on pense donc naturellement aux brevets pour la protection de ces innovations. Y a-t-il des spécificités ou des écueils auxquels les entreprises doivent faire face ?
Oui, nous parlerons plus en détail de l’obtention des brevets. Il faut noter qu’une entreprise MedTech évolue dans un environnement juridique complexe. En effet, ces entreprises proposent pour la plupart des dispositifs médicaux qui font l’objet d’une réglementation au niveau européen. Cette réglementation catégorise les dispositifs médicaux en différentes classes. Selon la classe, les démarches pour mettre sur le marché le dispositif médical sont différentes. Par exemple, pour les dispositifs de la classe I, la certification CE peut être apposée par le fabricant alors que pour les autres classes (II et III), la certification passe par un organisme notifié.
Cette réglementation est en outre évolutive. En effet, alors que la réglementation sur les dispositifs médicaux était régie par des directives et des lois nationales, le régime change cette année et une réglementation européenne sur les dispositifs médicaux entre en vigueur le 26 mai 2021. Avec la nouvelle réglementation, on passe de 18 règles à 22 et de 56 critères de classement à 80. Les entreprises de la MedTech vont donc devoir revoir la classification de leurs dispositifs avec, pour certains, un changement de classe à la clef.
Par ailleurs, certaines entreprises MedTech sont créées à partir d’un brevet. La solidité du brevet est alors primordiale. De multiples problématiques juridiques les attendent autour du brevet, par exemple les questions des critères de brevetabilité (invention brevetable, nouveauté, activité inventive, etc.) et de la validité de la chaine de transmission du titre. Si l’entreprise ne fabrique pas son produit de bout en bout ou sur tous les marchés visés, elle doit signer des licences d’exploitation. Un brevet dans le domaine de la MedTech est en outre souvent issu d’une collaboration entre différents acteurs. Un contrat de collaboration existe-il ? Régit-il la propriété intellectuelle qui en résulte ? Qui la finance ? Quel droit national est applicable ? Parmi les acteurs, figure souvent un médecin. Travaille-t-il à son compte ? Est-il employé ? Quel régime est appliqué à l’invention ?
En outre, le système des brevets est complété dans l’Union européenne par le certificat complémentaire de protection (CCP) qui permet de prolonger les droits et obligations du propriétaire d’un brevet dans les domaines pharmaceutique et phytosanitaire pour une durée maximale de 5 ans après les 20 ans de protection offerte par le brevet. Certains pays, comme l’Allemagne et les Pays-Bas délivrent de tels titres pour les dispositifs médicaux alors que d’autres, dont la France, considèrent que ces dispositifs ne sont pas concernés par le CCP.
Toutes ces questions intéressent la protection des dispositifs médicaux et les entreprises de la MedTech ne doivent pas les négliger.
Vous parliez des critères de brevetabilité, existe-t-il des spécificités à ce sujet concernant les inventions dans le domaine de la MedTech ?
Comme nous l’avons vu, ces inventions peuvent relever du domaine du logiciel, de l’intelligence artificielle, des méthodes de diagnostic ou encore des méthodes thérapeutiques. Des règles spécifiques sont applicables à chacun de ces domaines.
En première approche, on peut penser que de telles inventions ne sont pas brevetables.
En pratique, il reste possible de rédiger un brevet couvrant une telle invention, sans tomber sous le coup des exceptions à la brevetabilité prévues par la loi.
En effet, seules les méthodes mathématiques ou les programmes d’ordinateur en tant que tels ne sont pas brevetables. En revanche, il est tout à fait possible de protéger par brevet l’utilisation d’une méthode mathématique pour une application pratique répondant à un problème technique. Il est par exemple possible de déposer une demande de brevet portant sur l’utilisation d’un réseau de neurones convolutif pour le traitement d’images selon un algorithme particulier améliorant les performances de détection de cellules cancéreuses.
Par ailleurs, seuls des procédés répondant à des critères spécifiques définis par la loi et par la jurisprudence sont exclus de la brevetabilité au motif qu’ils constituent des méthodes thérapeutiques ou des méthodes de diagnostic. Ainsi, il reste notamment possible de protéger un procédé d’aide au diagnostic par exemple.
En présence d’une invention dans le domaine de la MedTech, il convient donc tout d’abord d’établir un dialogue de fond avec l’inventeur de manière à comprendre et définir correctement l’invention. Nous proposons ensuite une stratégie de protection adaptée en fonction des bases juridiques et de la jurisprudence applicables dans chacun des pays visés par la demande de brevet.
Existe-t-il d’autres possibilités de protection complémentaires aux brevets ?
Les données ont aujourd’hui une place prépondérante, en particulier lorsqu’elles sont utilisées pour entraîner des modèles d’intelligence artificielle. Il est donc naturel de chercher à les protéger. En Europe, nous disposons notamment d’un droit spécifique dit « sui generis », permettant de protéger les bases de données et constituant une option intéressante. Une telle protection est accordée en échange d’un investissement substantiel pour la constitution, la vérification ou la présentation du contenu de la base de données.
Par ailleurs, en plus de la protection par brevet du logiciel, ce dernier est également éligible à la protection par le droit d’auteur.
Dans chacun des deux cas précités, il est important qu’une stratégie interne soit établie de façon à pouvoir prouver, notamment en cas de litige, la date de création ou de mise à jour du logiciel ou de la base de données. Il est également nécessaire de pouvoir prouver le caractère substantiel et la nature de l’investissement réalisé dans le cadre d’une base de données.
Au-delà des nombreux points déjà évoqués, y a-t-il d’autres points juridiques à prendre en compte dans le domaine de la MedTech ?
On peut notamment citer la question du traitement des données personnelles de santé. Ces données sont qualifiées de données sensibles et font l’objet de dispositions particulières au titre du RGPD notamment, en plus de celles déjà existantes pour les données de santé personnelles non sensibles. Cela implique des conditions plus restreintes pour leur traitement et une exclusion de principe de toute exploitation commerciale.
Par ailleurs, en ce qui concerne les logiciels, de nombreuses briques open-source sont généralement utilisées par les développeurs. On considère en effet que la quasi-totalité des logiciels actuels utilise du code open-source. Les libertés accordées par le caractère open-source ne sont toutefois pas sans contrepartie : il existe des conditions d’utilisation qui sont définies par des licences, plus ou moins permissives. Ces licences définissent des droits mais aussi des obligations. Il convient donc de se poser la question de la compatibilité de ces licences avec le modèle de distribution envisagé du logiciel concerné.
De façon générale, dans le domaine de la MedTech encore plus que dans d’autres domaines, les questions techniques et juridiques doivent être envisagées de manière holistique par une équipe pluridisciplinaire capable d’aborder ces différentes notions, afin de pouvoir mettre en place une stratégie globale répondant aux différents besoins et prenant en compte les contraintes juridiques et économiques existantes.
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