Protéger et défendre vos marques dans le monde numérique – Paroles d’experts
Publié le mercredi 15 juin 2022En complément, l’IEEPI et Charlotte Baldassari vous propose la formation suivante :
Paroles d’experts : Charlotte BALDASSARI et Julie GAUTIER.
L’IEEPI donne la parole à ses experts, aujourd’hui Charlotte BALDASSARI, Avocate Spécialiste en Droit de la Propriété Intellectuelle et Julie GAUTIER, Avocate collaboratrice, du Cabinet BALDASSARI.
Elles nous proposent une analyse sur : Protéger et défendre vos marques dans le monde numérique.
« Site internet », « blog », « smartphone », « réseaux sociaux », « application », « plateforme » « virtualité augmentée », « blockchain », « metaverse » « NFT », sont autant de termes qui reflètent la fascinante évolution du numérique et sa démocratisation dans la société en quelques années.
Les nouveaux usages engendrés par ces technologies ont eu un impact certain sur les marques qui doivent sans cesse s’adapter et faire face à de nombreuses atteintes.
La jurisprudence, notamment européenne, a dû progressivement s’adapter à ces environnements en affinant son analyse de l’application de ce droit notamment aux grands acteurs et les juristes doivent constamment faire preuve de créativité en la matière.
Comment se matérialise la contrefaçon d’une marque sur internet et les réseaux sociaux ?
Il faut tout d’abord rappeler que l’enregistrement d’une marque confère à son titulaire un droit de propriété sur celle-ci pour les produits ou services précisément désignés lors du dépôt, et ce en application du principe de spécialité.
Une marque peut être contrefaite de différentes manières sur internet ou les réseaux sociaux.
Il peut s’agir d’une reprise à l’identique d’une marque déposée pour des produits ou services identiques ou bien de l’utilisation d’un signe similaire à sa marque pour des produits ou services identiques ou similaires dès lors qu’il existe un risque de confusion auprès du public.
Mais encore faut-il, selon le nouvel article L. 713-2 du Code de la Propriété Intellectuelle qui a intégré les célèbres jurisprudences Arsenal et Matzaren Concord de la Cour de Justice de l’Union Européenne, qu’il s’agisse bien d’un usage de marque dans la vie des affaires.
Ainsi, l’utilisation de la marque d’autrui n’est pas forcément condamnable si elle ne tend pas à désigner des produits ou services sous le signe concerné, c’est-à-dire que le public concerné n’est pas amené à penser que le produit ou le service serait susceptible d’avoir un quelconque lien avec la marque revendiquée. A titre d’exemple, certains signes identiques à des marques sont utilisés à titre de référence technique sur un site internet ou un réseau social mais pas forcément pour promouvoir spécifiquement des produits ou des services.
D’autre part, l’usage d’une marque doit être fait dans la vie des affaires. Ainsi, le détournement d’une marque sur internet ou un réseau social dans un but purement polémique n’est pas condamnable au titre de la contrefaçon.
D’autres limites légales, telles que la référence nécessaire ou la publicité comparative sont expressément prévues dans le Code de la Propriété Intellectuelle.
Une marque peut également être utilisée en tant que lien hypertexte, méta-tags ou adwords pour faciliter le référencement sur Google ou pour désigner un nom de domaine et permettre le cybersquatting.
La contrefaçon ne sera toutefois retenue que si l’usage de la marque porte atteinte à la fonction de garantie d’origine.
A noter enfin que, même sur internet ou les réseaux sociaux, les marques renommées sont protégées spécialement par le Code de la Propriété Intellectuelle sans démonstration du risque de confusion ni application du principe de spécialité si l’emploi tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque ou leur porte préjudice.
Comment protéger et défendre ses marques dans le monde du numérique ?
De manière générale, il est essentiel de surveiller ses marques en effectuant des veilles régulières sur internet ou les réseaux sociaux.
Ensuite, lorsqu’on constate un usage illicite, il faut se ménager la preuve car la particularité d’internet est que ce type d’agissements peut disparaître immédiatement. Il est donc recommandé de faire faire préalablement un constat par un huissier ou par un organisme spécialisé, tel que l’Agence pour la Protection des Programmes (APP). Afin d’assurer un caractère probant au constat, il faudra veiller à respecter les procédures précises et notamment la norme AFNOR NF Z67-147 qui propose un mode opératoire détaillé.
L’étape suivante est d’adresser un courrier de mise en demeure de cesser les actes de contrefaçon et à défaut d’engager une action en contrefaçon devant les Tribunaux Judiciaires spécialisés compétents.
S’il s’agit d’un site internet, l’éditeur a l’obligation de s’identifier dans les mentions légales. En revanche, s’il s’agit du compte d’un réseau social, l’identification pourra être plus compliquée s’il s’agit d’un pseudonyme par exemple. Une levée d’identification sur ordonnance du Juge préalablement sollicité par requête du titulaire devra donc être nécessaire.
En cas de dépôt d’un nom de domaine constituant une atteinte aux droits du titulaire d’une marque, il existe des procédures alternatives mises en place par les organismes en charge de la gestion des noms de domaine, telles que la procédure PARL (procédures alternatives de résolution des litiges) mise en place par l’AFNIC pour les sites internet en .fr ou la procédure UDRP (Uniform Dispute Resolution Policy) par l’OMPI pour les sites en .com, .net, .org notamment.
Il est également à noter que plusieurs grandes marques de luxe se tournent aujourd’hui vers la technologie blockchain pour garantir non seulement la traçabilité et l’authenticité de leurs produits mais également le respect de leurs droits de marque.
Qu’en est-il de la responsabilité des plateformes ?
La loi pour la confiance dans l’économie numérique du 21 juin 2004 dite LCEN prévoit des obligations importantes à l’égard des différents acteurs d’internet.
Depuis l’entrée en vigueur de cette loi, le développement des plateformes de contenus et de place de marchés en ligne a engendré un important contentieux lié à la contrefaçon de marques.
Si la jurisprudence en ce domaine reste encore fluctuante, on peut retenir pour l’essentiel que ces acteurs peuvent bénéficier de la responsabilité spécifique des hébergeurs s’ils n’ont aucun « rôle actif » dans le choix des contenus.
Pour ce faire, les juges analysent in concreto les différents services des plateformes. La plateforme dispose-telle de moyens d’optimisation des transactions mis à la disposition des vendeurs ? Envoie-t-elle des messages spontanés à l’attention des acheteurs pour les inciter à acquérir des biens ? Incite-elle les enchérisseurs malheureux à se reporter sur d’autres offres ?
Dans l’affirmative, elles peuvent être qualifiées d’éditeurs et voir leur responsabilité plus facilement engagée.
Si en revanche elles n’ont pas de rôle actif, elles n’ont pas d’obligation générale de surveillance des contenus et annonces diffusés.
Pour autant, cela ne signifie pas que la responsabilité des hébergeurs ne puisse pas être engagée. En effet, la procédure de notification, résultant de l’article 6.I.5 de la LCEN dispose que la connaissance des faits litigieux par des hébergeurs est présumée acquise lorsque leur sont notifiés certains éléments déterminés.
De nombreuses plateformes ont par ailleurs des outils permettant de dénoncer des actes de contrefaçon de ses marques. C’est le cas d’Instagram et de Facebook mais également d’Amazon qui permet aux titulaires de marques déposées de rapidement faire cesser eux-mêmes les atteintes.
Récemment, Leboncoin a également créée le programme « Handcheck » pour permettre aux titulaires de marques et ayants droit de signaler les tentatives de contrefaçon.
Quid de l’utilisation des marques par des influenceurs ?
Le thème du droit des marques et des influenceurs entraîne plusieurs réflexions.
La première concerne le cadre légal des partenariats entre les influenceurs et les marques. Sans rentrer dans la réglementation relative à la publicité qui est toutefois relativement importante, ces partenariats nécessitent en termes de sécurité juridique de se matérialiser par un contrat qui devra notamment prévoir une licence des marques qui seront mises en avant par l’influenceur.
En dehors des partenariats, certains influenceurs peuvent également communiquer sur des marques, sans aucune autorisation, et des risques de contrefaçon peuvent à ce titre survenir si la communication déplaît par exemple au propriétaire de la marque utilisée.
Ces pratiques sont d’autant plus présentes avec l’utilisation de courtes vidéos, telles que les « stories ».
Toutefois, et conformément à l’article L.713-2 du Code de la Propriété Intellectuelle, pour agir en contrefaçon le propriétaire devra notamment démontrer que l’influenceur a utilisé le signe à titre de marque dans la vie des affaires.
Par ailleurs, les influenceurs peuvent être amenés à pratiquer le drop shipping, c’est-à-dire vendre directement aux internautes en déléguant toutefois la logistique à un fournisseur.
Cette activité peut entraîner une certaine contrefaçon si l’influenceur revend des produits contrefaits ou alors appose sa propre marque sur les produits à livrer à la place de la véritable marque. C’est également le cas si l’influenceur promeut directement des produits contrefaisants en permettant de les acheter à prix réduit.
Enfin, il est intéressant de noter que l’influenceur peut lui-même déposer sa propre marque pour davantage promouvoir son activité.
Le Metavers est aujourd’hui un sujet incontournable. Comment protéger ses marques dans ce monde virtuel ?
Sans rentrer dans une analyse technique et juridique de la blockchain et des NFT qui vont de pair avec le Metavers, ce dernier pourrait effectivement être défini comme un monde virtuel au sein duquel les utilisateurs, via des « avatars », peuvent interagir entre eux comme ils le font dans la vie de tous les jours. Un avatar pourra par exemple se rendre dans un musée virtuel pour regarder des œuvres virtuelles ou dans une boutique afin d’acheter des produits qu’il utilisera dans ce monde.
Pour les entreprises, la question est donc de savoir si les marques dont elles sont titulaires bénéficient d’une protection suffisante dans le Metavers.
Une première réponse est d’affirmer qu’il est possible de se prévaloir de ses droits de propriété intellectuelle de manière classique, sans que la virtualité du Metavers ne pose de difficulté.
Cette question s’était notamment posée au début d’internet et la pratique a montré que le droit positif pouvait relativement bien s’y appliquer.
A l’égard du Metavers, l’action intentée par HERMES contre METABIRKIN aux Etats-Unis en est une bonne illustration : l’artiste Mason Rothschild s’était inspiré des sacs Birkin de la célèbre maison de couture française pour créer et vendre des NFT représentant des sacs dénommés « METABIRKIN ». En défense, HERMES a notamment revendiqué ses marques en indiquant que le nom « METABIRKIN » entraînait une confusion certaine avec sa marque.
La seconde réponse amène toutefois à plus de stratégie juridique, notamment en matière de dépôt de marque. Pour les entreprises qui envisagent une réelle présence dans ce monde, il pourrait être intéressant de viser dans les dépôts des produits et services relatifs précisément au Metavers, bien que la classification de Nice n’en fasse aucune mentionne à ce jour et que certaines classes de produits et services peuvent déjà être utilisées en ce sens.
De nombreuses sociétés ont d’ores et déjà procédé à de tels dépôts pour protéger leurs activités dans le monde virtuel.
Nous ne pouvons donc qu’encourager les entreprises qui souhaitent être présentes dans le Metavers à vérifier leurs portefeuilles de marques et à procéder à de nouveaux dépôts si besoin afin d’être davantage protégées.
En complément, l’IEEPI et Charlotte Baldassari vous propose la formation suivante :